Mobiliser la force des jeunes générations francophones pour fabriquer les villes

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En cette Journée Internationale de la Francophonie 2024, découvrez la tribune Urbanisme en Francophonie de M. Sokhary Ell (jeune architecte et ancien assistant urbaniste auprès de l’Hôtel de ville de Phnom Penh). La jeunesse d’aujourd’hui est la première génération à devoir faire face aux contradictions humaines, c’est pourquoi c’est aussi le thème de la 5e saison de la table ronde U&F sur : “La pratique des jeunes professionnels de la fabrique urbaine”.

La statistique est bien connue : plus de la moitié de la population mondiale vit aujourd’hui dans des zones urbaines et la proportion atteindra deux tiers en 2050. Mais une telle information générale dissimule bien des écarts selon les régions du monde : en Europe, aux États-Unis ou au Japon, la population vieillit rapidement, tandis que dans d’autres régions du monde, en particulier en Afrique et dans quelques pays d’Asie, il s’agit plutôt de pouvoir accueillir de nouveaux habitants à la faveur d’un solde naturel qui reste très positif. Des points communs réunissent pourtant les jeunes générations, où qu’elles se trouvent dans le monde : elles sont toutes face à un dilemme qu’elles auront la responsabilité pleine de résoudre. En effet, avant elles, s’est imposée une aspiration au progrès qui passait par l’augmentation du niveau de vie, une artificialisation croissante des productions, des consommations, des espaces vécus. De plus en plus de ressources devaient être mobilisées pour apporter les bienfaits d’un confort de plus en plus normalisé à l’échelle mondiale.

Aujourd’hui, alors que l’espèce humaine n’a jamais été aussi nombreuse et n’a jamais autant exercé une pression sur les ressources naturelles, elle sait aussi que son mode de développement est devenu insoutenable. Cela se traduit d’une manière bien plus explicite : il n’y a pas assez de ressources pour permettre à tous les habitants de la planète d’accéder au niveau de prospérité atteint par les économies de riches. L’impasse écologique se double d’une impasse sociale et toutes les deux obligent à prendre de nouvelles responsabilités. Comment arbitrer en effet entre l’amélioration des conditions de vie matérielle d’une part et la réduction de l’empreinte sur la planète d’autre part ? Et ce sont aujourd’hui principalement les jeunes générations qui sont confrontées à ce dilemme existentiel.

Notre génération est à la croisée des chemins. Sans doute plus que d’autres doit-elle gérer nombre de contradictions qui sont inédites sinon par leur nature au moins par leur ampleur. En effet, elles savent que même le maintien des actuelles conditions de vie pourrait devenir illusoire et nombre de représentants de cette jeunesse ne peuvent imaginer d’autre horizon que la décroissance, c’est-à-dire le repli vers des contextes et des pratiques qui réduisent les possibilités de développement.

La première de ces contradictions est l’aspiration à davantage de bien-être et de confort matériel alors que nous disposons de ressources limitées. A Phnom Penh, la capitale du Cambodge, d’où je viens, les jeunes ont davantage de moyens et de choix dans leur domicile que les générations précédentes. S’installer dans les quartiers pavillonnaires fermés, sécurisés, ornés de jardins entretenus, et équipés de piscines est un symbole de réussite et une aspiration largement exprimée, malgré l’éloignement du centre-ville et des emplois, malgré le temps passé dans les transports. Nous avons en même temps la conscience de la pression écologique et environnementale et de la limitation des ressources. Il serait plus utile et efficace de penser à la transformation et à la rénovation des bâtiments existants plutôt qu’à la construction neuve. Je pense aux immeubles résidentiels en centre-ville qui possèdent encore des qualités et des potentiels pour accueillir des habitants. Nos choix ont un impact direct sur les ressources disponibles, pour les autres populations aujourd’hui mais aussi pour les générations futures. Les générations précédentes avaient l’illusion de pouvoir produire toujours davantage et donner ainsi plus de biens à tout le monde !

Une autre contradiction a trait aux effets d’un progrès technique qui réclame toujours plus d’énergies et de matières premières : qu’il s’agisse des mobilités, de l’alimentation, de la santé, de l’éducation, de la consommation, de la communication, nous utilisons toujours plus d’objets qui sont disponibles partout dans le monde. Les villes sont très souvent les lieux de découverte et de développement des inventions et des nouveaux usages et la jeunesse est souvent la plus encline à adopter des pratiques naissantes. Or, il y a souvent beaucoup d’effets dommageables et nous ne pouvons plus nous contenter d’une technophilie et d’une adhésion sans réserve aux innovations. Là encore, nous devons trouver la mesure… Mais comment ?

Une troisième contradiction nous apparaît dans notre rapport aux territoires : nous attachons de plus en plus d’importance à notre pays, à notre ville, à notre famille et à nous assurer que nous pourrons vivre en prospérité et en sécurité. Nous vivons dans un monde globalisé, comme jamais auparavant, mais les revenus et certains privilèges ne sont pas d’ailleurs uniformément distribués et un énorme écart sociétal existe encore. Certains pays servent d’usines et d’ateliers pour d’autres, où les personnes travaillent dans des conditions, de qualité de l’environnement, de règles sociales, économiques et sanitaires que beaucoup de personnes n’accepteraient pas pour elles-mêmes. Ces inégalités, qui se retrouvent jusqu’au cœur de nos villes, sont la source de violences entre personnes, entre territoires et même entre pays. Comment pouvons-nous garder une part des échanges et améliorer les conditions de production et de respect, tant des êtres humains que des ressources naturelles et de la biodiversité ?

Il y a encore bien d’autres contradictions qui apparaissent sur notre rapport à la nature, à la santé et à la culture. Elles ont un même point commun : elles révèlent qu’à partir de notre génération, l’espère humaine sait que son action pèse sur l’ensemble de la planète et qu’il nous faut tenir compte des effets de nos actions collectives alors même que nous ne pouvons ni nous coordonner, ni disposer des capacités de distributions des responsabilités. Le monde devant nous est inédit et les choix que nous devrons prendre n’ont jamais été formulés auparavant. L’horizon demeure inconnu, dangereux, ce qui excite les peurs.

Devons-nous baisser les bras ? À leur échelle, nos aînés ont dû affronter l’inconnu. Être jeune, sans doute est-ce être active, créative, responsable, déterminée pour affronter les difficultés et trouver, dans les contraintes nouvelles que nous apprenons, comment dépasser les peurs et nous inventer un monde qui réponde à nos aspirations et que nous préparerons pour le transmettre à notre tour.

Alors que le monde doit organiser sa transition vers un développement plus respectueux des personnes mais aussi des ressources de la planète et de sa biodiversité, comment penser et construire les villes ? La tribune Urbanisme en Francophonie, publiée une fois par mois, vise à rassembler les témoignages et les réflexions de ce récit original.

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