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Face à la multiplication des crises, il est urgent d’intégrer les maires comme acteurs des grandes arènes diplomatiques mondiales

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Achille Mbembe

Achille Mbembe est historien, politologue et enseignant universitaire camerounais.

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Mohamed Fadhel Mahfoudh

Mohamed Fadhel Mahfoudh est avocat. Il préside l’Ordre national des avocats de Tunisie de 2013 à 2016 et reçoit à ce titre le prix Nobel de la paix 2015.

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Oleksandra Matviïtchouk

Oleksandra Matviïtchouk, est avocate et activiste ukrainienne pour les droits de l’homme. Elle dirige l’ONG Centre pour les libertés civiles qui reçoit le prix Nobel de la paix en 2022.

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Denis Mukwege

Denis Mukwege, est gynécologue et militant des droits de l’homme kino-congolais. Il reçoit le prix Nobel de la paix en 2018 pour son engagement contre les mutilations génitales pratiquées sur les femmes en République démocratique du Congo.

Un même constat émerge des images déchirantes de Marioupol, Kharkiv, ou Kyiv, des bruits de bottes aux portes de Goma, du souvenir de la Nouvelle-Orléans ravagée par Katrina : c’est au cœur de nos villes que s’expriment de manière exacerbée les dérèglements avec lesquels nous devons vivre et que nous allons devoir affronter. Les villes sont les espaces des vulnérabilités et des conflits de notre temps.

Et, plus que jamais, les maires sont en première ligne de ces crises aiguës. De Vitali Klitschko, hyperactif dans les médias internationaux depuis l’hôtel de ville de Kyiv pour maintenir l’opinion mobilisée sur l’Ukraine, aux élus des petites localités du Sahel qui, malgré la pression terroriste, défendent l’école pour toutes et tous au péril de leur vie : partout, les maires vont aux devants du danger.

Leur popularité et leur légitimité apparaissent incontestables et leur rôle est salué comme essentiel. Au quotidien comme en temps de crise, ils agissent au plus près du terrain et des populations, apportant des réponses directes aux défis du développement durable, de l’inclusion et du dialogue social, enjeux de sécurité et de paix globale pour lesquels nous ne pouvons faire l’économie de leur expérience et de leurs capacités. Hélas, passées les urgences, la place et les moyens consentis aux maires sont encore en-deçà des exigences de leur mission, et donc de notre temps.

Le constat est le même en matière de relations internationales quand, au plus fort des crises sanitaires, humanitaires ou sécuritaires, les liens entre les élus locaux se révèlent cruciaux, des Grands Lacs africains à l’Europe, en passant par le Maghreb. Offrant des solutions concrètes aux adversités, ces relations infra-étatiques sont une voie d’échange qui doit être maintenue vivante si nous voulons construire la paix dans le cœur et depuis le cœur des populations.

L’intégration de ces « diplomates de proximité » que sont les maires est d’autant plus urgente qu’une nouvelle donne s’affirme dans l’arène diplomatique dont les États ne sont plus les acteurs exclusifs, leur rôle étant battu en brèche par les logiques transnationales qui s’affirment dans les domaines humain, économique, civilisationnel, informationnel, sécuritaire et environnemental. Notre monde a changé et les doctrines diplomatiques s’y adaptent, en créant des synergies avec les sociétés civiles en matière d’éducation, d’environnement, de santé : autant de domaines devenus prioritaires qui sont les champs d’action de la diplomatie des collectivités locales depuis des décennies…

Dans cette nouvelle définition des relations internationales, la position, les réseaux et les actions des élus locaux sont incontournables. Or force est de constater qu’une défiance obsolète, fondée parfois sur une perception erronée de rivalité politique, continue d’amener les pouvoirs nationaux à une forme de marginalisation des maires jusque dans nos arènes multilatérales. Les collectivités devraient être systématiquement associées à la définition et à la gestion des politiques de détente, d’entente et de coopération, à la hauteur du rôle de premier plan qui est le leur. Mais, que l’on pense à la COP de Glasgow, à celle qui se déroule actuellement en Égypte, ou aux grandes enceintes de la diplomatie internationale, la parole n’y est que trop rarement donnée aux maires tandis qu’aucun rôle officiel, institutionnalisé, n’est prévu pour eux.

La diplomatie des villes joue un effet de levier des politiques internationales qu’il s’agit de reconnaître et d’intégrer, non pas comme simple relais des stratégies centralisées mais comme un acteur à part entière de l’ajustement et de la gestion des politiques de coopération. En corollaire, la décentralisation administrative et fiscale doit être dynamisée là où elle est déjà engagée, et encouragée là où elle est encore balbutiante pour donner aux villes les moyens adaptés à l’importance des défis qu’elles doivent relever. Les villes doivent elles-mêmes s’engager à dépasser l’entre-soi des relations bilatérales routinières pour élaborer des stratégies de coopération décentralisée multilatérales propres à répondre, avec la réactivité qui s’impose, aux grandes problématiques de notre temps.

Enfin et surtout, dans un contexte de crise de l’universalité et de relativisation des droits de l’homme par des puissances non démocratiques qui n’hésitent pas à instrumentaliser leur propre diplomatie des villes pour leur stratégie d’influence, renforcer la coopération décentralisée des collectivités locales permettrait de faire vivre de nouvelles alliances fondées sur les valeurs démocratiques que nous partageons : gouvernance politique, droits de l’homme et développement durable.

Comment porter cette évolution ? Les aires régionales, linguistiques et culturelles, sont des facteurs de paix et d’entente entre des populations aux aspirations et aux appréhensions plus connectées que jamais. Leur renforcement est devenu un impératif pour la paix et l’entente entre les peuples.

Ces aires de dialogue ont toujours représenté une expérience originale du multilatéralisme et sont la bonne échelle pour avancer en pionniers vers une reconnaissance aboutie de la diplomatie des villes. D’autant qu’elles disposent de réseaux locaux, nationaux et internationaux structurés, efficaces et reconnus sur lesquels les Etats et leurs organisations pourraient utilement s’appuyer.

Alors que vient de s’achever le Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement francophones de Djerba, nous voulons porter cette question et cette opportunité. Face aux contradictions et aux crises majeures qui traversent son espace, face aux interrogations sur son utilité, la Francophonie gagnerait à se positionner à l’avant-garde en portant clairement ce choix d’une diplomatie multi-acteurs. Aux côtés des États, les Maires, élus au suffrage universel, devraient y avoir une place centrale reconnue et soutenue.

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